


Riposte aux droits de douane : les marchés contre-attaquent
Comme on pouvait s’y attendre, le début du second mandat de Donald Trump a été houleux mais le locataire de la Maison-Blanche a été rappelé à l’ordre par des forces plus puissantes que son autorité présidentielle : les marchés. Selon Colin Graham, investisseur multi-actifs, cela pourrait neutraliser l’impact des droits de douane et d’une éventuelle guerre commerciale.
Résumé
- Les droits de douane entraînent la chute concomitante des actions, des obligations et de la monnaie américaines La conversion des dollars détenus à l’étranger en actifs locaux est plus probable
- La conversion des dollars détenus à l’étranger en actifs locaux est plus probable
- Les investisseurs se demanderont si la prime nécessaire pour détenir des actifs américains est justifiée
Toutes les grandes classes d’actifs ont bu la tasse à l’annonce des droits de douane, mais la plus grosse onde de choc est venue de la vente massive de 1 000 milliards de dollars sur le marché des bons du Trésor américain, le plus grand marché obligataire au monde, et de loin. Cette réaction des « justiciers obligataires » a incité la Maison Blanche à atténuer ou à reporter une grande partie des droits de douane envisagés.
Et maintenant, l’économie américaine elle-même est menacée par le leitmotiv autodestructeur qui consiste à s’efforcer de remédier aux déséquilibres commerciaux par des taxes sur les importations qui ne feront qu’affaiblir la demande des consommateurs et créer de l’inflation importée, explique Colin Graham, codirecteur de l’équipe Robeco Investment Solutions.

Perspectives à cinq ans 2026-2030
« De notre point de vue, le président Trump ne suit pas son propre leitmotiv de l’art de la négociation », précise Colin Graham. « Il a cligné des yeux lorsque les « justiciers obligataires » sont sortis de leur torpeur, et il est maintenant en train de revenir sur sa position, car aussi bien ses amis que ses ennemis refusent de se laisser intimider. La volte-face sur les droits de douane va se poursuivre, mais l’impact macroéconomique négatif sur les États-Unis va seulement commencer à se faire sentir.
Les statistiques tirées des enquêtes auprès des consommateurs et des industriels sont mauvaises, même si les données réelles sur les dépenses ou l’emploi ne reflètent pas encore cette tendance. Des éléments indiquent que les consommateurs américains précipitent leurs dépenses et que les entreprises se sont constitué des stocks avant l’entrée en vigueur des droits de douane.
En conséquence des droits de douane, les volumes d’expédition en provenance de Chine ont été réduits à peau de chagrin. On peut établir un parallèle avec le choc d’offre lors de la pandémie de 2020, qui a entraîné une pénurie de marchandises et une montée en flèche de l’inflation. »
Graphique 1: Volumes des navires porte-conteneurs : les expéditions en provenance de Chine à destination des États-Unis sont en chute libre

Source : Robeco, Bloomberg.
Bouleversement de l’ordre mondial
La première conséquence majeure du nouveau régime a été un affaiblissement significatif du dollar américain et de son rôle de devise de réserve mondiale, normalement très prisée par les étrangers. La vigueur historique du billet vert a permis dans une large mesure aux États-Unis de financer leur énorme déficit budgétaire et commercial.
« Un bouleversement de ce système pourrait s’avérer désastreux pour l’économie américaine et mondiale », explique Colin Graham. « Depuis l’annonce des droits de douane, les perspectives économiques des États-Unis ont été unanimement revues à la baisse, tout le monde s’efforçant de ne pas perdre pied face à l’incertitude politique extrême.
Les investisseurs non américains se demandent désormais si la prime de risque nécessaire pour détenir des actifs américains est justifiée. C’est la question à 32 000 milliards de dollars (le montant des portefeuilles étrangers), ce qui signifie que les représailles pourraient venir de plusieurs fronts différents. »
Réactions des classes d’actifs
Colin Graham explique que ces représailles ont des répercussions majeures sur toutes les classes d’actifs : « Au début de l’année, le dollar était fortement surévalué par rapport à son niveau historique, dynamisé par une croissance, des taux d’intérêt et des afflux de capitaux élevés. À plus long terme, nous nous attendons à une dévalorisation et à un rééquilibrage.
La pression à la baisse provenant de la « grève des acheteurs » pourrait prendre de l’ampleur si les investisseurs ne se tournent pas davantage vers les actifs américains. Dans le même temps, le rapatriement des recettes tirées des exportations par les États-Unis, qui permet aux monnaies locales de s’apprécier par rapport au billet vert, signifie que les politiques en matière de droits de douane devraient continuer à être assouplies.
Nous constatons déjà une diversification par les banques centrales et les particuliers au profit de l’or et d’autres devises au détriment du dollar. Nous nous demandons si la domination des taux d’intérêt et de croissance américains sur le reste du monde suffira, à l’avenir, à préserver l’attrait des capitaux américains.
Si la réduction de la surpondération des actifs américains par les étrangers prendra un certain temps, cette tendance pourrait s’accélérer à mesure que les investisseurs et les entreprises précipitent le processus de dédollarisation. »
Impact sur les bons du Trésor US
L’impact le plus important pourrait se fait ressentir au niveau des bons du Trésor américain, dont 9 000 milliards de dollars sont détenus par des acteurs étrangers, dont la Chine. Les « justiciers obligataires » se sont débarrassés de ces titres de créance sur le marché libre, ce qui a fait grimper les taux et baisser les valorisations.
Graphique 2 : La détention des bons du Trésor américain par les étrangers est énorme

Source : Département américain du Trésor, Robeco
« Une réduction des échanges commerciaux aura un effet dissuasif sur la détention de produits en dollars, et la conversion des dollars détenus à l’étranger en actifs locaux est un scénario plus probable », explique Colin Graham. « La Chine augmente son stock de bons du Trésor américain détenus dans le système Euroclear, ce qui facilite le passage aux obligations européennes et évite de faire s’envoler le renminbi par rapport au billet vert.
Nous conservons une position de duration neutre sur les bons du Trésor US, car l’économie américaine reste solide, mais la renforcerons en cas de hausse des taux. En effet, l’impact inflationniste de la pénurie de biens n’est pas encore intégré et le term premium de risque lié à la détention de bons du Trésor américain devrait être plus élevé. »
Perspectives pour les bénéfices et les actions
Les retombées s’étendront également aux actions, car les droits de douane restants réduiront, dans une mesure qui reste à déterminer, les bénéfices des entreprises, dans un contexte où de nombreux investisseurs estiment que le marché actions américain, dominé par la Tech, est survalorisé, même après la récente correction.
« Auparavant, la hausse du dollar offrait aux investisseurs non américains une certaine sécurité face à toute baisse des actions provoquée par un mouvement d’aversion au risque », explique Colin Graham. « Lors de la dernière vague de vente sur le marché actions, les investisseurs européens ont connu un double coup dur : la baisse du cours des valeurs américaines et de la chute du dollar.
Nous verrons avec plus de clarté à la fin de l’année 2025 à quels niveaux les coûts supplémentaires engendrés par les droits de douane se feront sentir. Nous nous attendons à ce que ces coûts soient répartis entre les marges des entreprises et les augmentations de prix pour les consommateurs. Ils auront une incidence sur les multiples des actions américaines, qui sont déjà élevés, et fera persister l’inflation des prix à la consommation. »
Prévisions floues
« Le monde étant ce qu’il est, les perspectives d’emploi et les intentions de dépenses d’investissement auront un impact significatif sur les attentes des investisseurs. À l’heure actuelle, bien que les données de l’emploi aux États-Unis restent solides, les prévisions de bénéfices des entreprises sont devenues floues, voire inexistantes.
Nous faisons preuve d’un très haut niveau de vigilance face à l’évolution du contexte et maintenons des positions défensives dans les portefeuilles. »
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