

Jeu de pouvoir : les dessous du bras de fer Fed-Trump
Les menaces du président D. Trump à l’encontre de l’indépendance de la Réserve fédérale américaine entraînent des effets sur les marchés, peut-être pas encore pleinement intégrés, déclare le stratégiste Peter van der Welle.
Résumé
- La banque centrale américaine fait l’objet de pressions de la part du président D. Trump pour abaisser les taux
- Le niveau d’indépendance influe sur la demande d’actions, d’obligations et d’or
- Trois scénarios ayant des conséquences sur le plan de l’allocation multi-actifs
Une litanie de politiques agressives, allant des droits de douane importants le « Jour de la libération » à des insultes sans précédent adressées au président de la Fed après le refus de ce dernier de céder à la pression d’abaisser les taux d’intérêt, a déjà ébranlé les marchés actions et obligations souveraines. Les valeurs refuges telles que l’or ont atteint des sommets depuis l’entrée en fonction du président D. Trump en janvier.
Selon Peter Van der Welle, stratégiste Multi-Actifs de Robeco, les marchés pourraient sous-estimer l’importance potentielle du bras de fer en cours avec la banque centrale américaine, institution traditionnellement indépendante du gouvernement depuis sa création en 1913.

Perspectives à cinq ans 2026-2030
« L’indépendance des banques centrales, surtout de la Fed, est cruciale pour une politique monétaire crédible et la stabilité financière des marchés », précise-t-il. « La crédibilité d’une banque centrale implique de garder les attentes d’inflation à moyen terme bien ancrées afin de protéger le pouvoir d’achat réel futur. »
« Dans notre publication Perspectives de 2023, intitulée « Triple jeu de pouvoir », nous avons souligné l’émergence, au cours des cinq prochaines années, d’un rapport de force entre la banque centrale américaine et l’administration américaine, sur fond de renforcement de la domination budgétaire à la suite de la crise du Covid. »
« Récemment, la tension entre les autorités budgétaires et monétaires s’est intensifiée. En effet, la Fed essuie des attaques de plus en plus nombreuses du président D. Trump sur les médias sociaux et les efforts juridiques visant à licencier Lisa Cook, membre du conseil de la Fed, “ pour justes motifs ” se sont multipliés. »
« L’issue de ce jeu de pouvoir et le degré et la pérennité de l’indépendance de la Fed qui en résulteront pourraient avoir des répercussions majeures sur les marchés financiers et même s’apparenter à un changement de régime. »
Les marchés s’en soucient-ils ?
Les effets du bras de fer entre D. Trump et la Fed sur les marchés ont jusqu’à présent reflété la conviction que la Fed conservera son indépendance, mais cette confiance pourrait être injustifiée, estime Peter Van der Welle.
« À première vue, le marché obligataire semble avoir échappé de manière remarquable à la volatilité, et le taux américain à 10 ans reste inférieur de 50 points de base à son pic du 13 janvier », explique-t-il. « Cela pourrait indiquer que le marché a confiance dans la résilience de la Fed et dans ses garanties institutionnelles face aux pressions politiques. »
« Pourtant, en y regardant de plus près, on s’aperçoit que quelque chose se prépare. Depuis le “ Jour de la libération ”, la corrélation entre les bons du Trésor à 10 ans et l’or est devenue négative. Dans le même temps, le taux des bons du Trésor à 2 ans a baissé tandis que les swaps d’inflation à 5 ans ont légèrement augmenté, ce qui constitue une constellation inhabituelle. »
« De plus, le début de la présidence Trump a inauguré un marché baissier du dollar. La dépréciation du dollar en 2025 pourrait indiquer que le marché des changes est en train de revoir la probabilité d’un régime de politique budgétaire. Les études indiquent que les devises ont tendance à se déprécier lorsque les marchés anticipent une inflation plus élevée dans un contexte de domination budgétaire. »
Graphique 1 : La corrélation entre les bons du Trésor à 10 ans et l’or est devenue négative

Les performances passées ne préjugent pas des performances futures. La valeur de vos investissements peut fluctuer.
Source : LSEG Datastream, Robeco, septembre 2025
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Considérations en matière d’allocation d’actifs
Quelles conséquences pour l’allocation d’actifs ? L’équipe Solutions d’investissement a analysé des données remontant à 2004 pour déterminer quels actifs bénéficient le plus ou le moins des degrés d’indépendance des banques centrales.
« Un bras de fer entre la Fed et le président D. Trump n’est pas une simple préoccupation théorique ; il entraîne une dispersion notable des performances pour les allocateurs multi-actifs mondiaux », explique Peter Van der Welle.
« Par exemple, alors que les bons du Trésor américain montrent une corrélation positive avec l’indépendance de la Fed, les actifs de faible qualité, tels que les valeurs de l’indice Russell 2000 et les obligations High Yield, présentent une corrélation négative. Il apparaît clairement qu’une Fed indépendante ne favorise pas les petites capitalisations. »
« Lorsque l’indépendance de la banque centrale est solide, la structure par terme des taux d’intérêt tend à refléter les fondamentaux économiques et des attentes d’inflation bien ancrées. L’érosion de l’indépendance pourrait pousser les investisseurs à réclamer des taux plus élevés face à l’incertitude inflationniste, pentifiant les courbes. »
Graphique 2 : Corrélation entre l’indépendance de la Fed et les performances des actifs dans les 12 mois suivants

Les performances passées ne préjugent pas des performances futures. La valeur de vos investissements peut fluctuer.
Source : LSEG Datastream, Robeco, septembre 2025
Fuite vers les valeurs refuge
Comme toujours, la valeur refuge traditionnelle qu’est l’or tire parti de toute forme d’incertitude, tandis que l’attrait des bons du Trésor américain diminue. « Lorsque les marchés remettent en question l’autonomie des banques centrales, la volatilité des devises augmente, ce qui déclenche souvent une fuite des capitaux vers d’autres actifs sûrs », explique Peter Van der Welle.
« Bien que la solidité institutionnelle de la Fed rende la fuite des capitaux peu probable, la hausse de l’or conjuguée avec un marché baissier du dollar depuis le début de l’année indique que le marché revalorise les valeurs refuges. »
« Le prix des actifs à risque, des valeurs américaines aux obligations High Yield mondiales, dépend fortement des attentes en matière de politique monétaire. Nos recherches montrent que les actifs de moindre qualité de crédit, comme le High Yield et les petites capitalisations, surperforment si l’autonomie de la Fed diminue.
« Du côté des facteurs liés aux actions, le facteur « qualité » a sous-performé ses homologues « growth », « valorisation » et « momentum » en 2025. Ces observations corroborent la perspective de taux d’intérêt artificiellement bas dans un contexte de Fed indulgente. À son tour, cette situation pourrait émousser la perception du risque, stimulant les performances des segments de faible qualité des marchés financiers, qui sont bon marché et ont jusqu’à présent sous-performé dans ce marché haussier. »
Trois scénarios pour les actifs
En ce qui concerne l’issue probable du bras de fer entre la Fed et D. Trump, l’équipe Solutions d’investissement Multi-Actifs voit trois scénarios potentiels, chacun présentant une probabilité d’environ un tiers.
Scénario 1 : L’indépendance est préservée : Il faut s’attendre à un aplatissement de la courbe des taux américaine, à une relative stabilité du dollar et à un environnement de risque plus prévisible. La corrélation entre l’or et les bons du Trésor redevient positive. La surperformance des petites capitalisations s’inverse.
Scénario 2 : L’indépendance s’érode : Il faut s’attendre à une pentification de la courbe des taux américaine, à une accentuation de la dépréciation du dollar et à un environnement de risque moins prévisible. La corrélation entre l’or et les bons du Trésor reste négative, et l’or a encore de beaux jours devant lui. La surperformance des petites capitalisations se poursuit.
Scénario 3 : Une domination budgétaire totale : La Fed se montre conforme aux desiderata du président D. Trump, tout comme elle l’avait été envers le président Nixon au début des années 1970. Les risques d’inflation aux États-Unis passent au premier plan. La demande de protection contre l’inflation augmente, ce qui profite aux actifs réels. La tendance baissière du dollar s’installe durablement, ce qui profite aux actifs européens et aux marchés émergents.
Le risque de sous-réaction
« Au regard de nos conclusions et de la probabilité de la poursuite du bras de fer entre la Fed et D. Trump, les investisseurs devraient privilégier une approche par scénarios pour l’allocation d’actifs », indique Peter Van der Welle. « Bien que nous estimions que la probabilité d’une nouvelle érosion de l’indépendance de la Fed ait augmenté, rien n’est certain. »
« En outre, suite à des chiffres décevants de l’emploi non agricole, le marché pourrait reléguer au second plan le débat sur l’indépendance de la Fed si le marché du travail américain s’effondre et que l’inflation reste faible malgré les droits de douane, permettant ainsi à la Fed de réduire ses taux sans que ces mesures soient interprétées comme politiquement motivées. »
« La pression continue exercée sur la Fed compromet son indépendance. Or, comme les marchés ne tiennent pas suffisamment compte des actions politiques de la Maison Blanche, la mauvaise évaluation du risque dans un contexte où la Fed cède à cette pression accroît la probabilité que le marché haussier entre dans une phase d’exubérance. »
Risque d’inflation élevée
Alors que les marchés actions restent pour l’instant impassibles, une reprise de l’inflation pourrait ultérieurement tempérer le marché haussier.
« Les marchés actions pourraient maintenir la pression sur la Fed jusqu’à ce que l’inflation réalisée atteigne 3,5 à 4 %, niveau auquel, historiquement, les actions ont tendance à souffrir et la corrélation entre obligations et actions devient positive », conclut Peter Van der Welle.