Perspectives mensuelles

Les marchés émergents vont-ils cracher le feu pendant l’année du dragon ?

Les actifs des marchés émergents restent bon marché par rapport à leurs homologues des marchés développés, mais leur revalorisation dépend de la tournure que prendront les événements cette année aux États-Unis, estime Aliki Rouffiac, spécialiste de l’investissement multi-actifs.


Auteurs

    Portfolio Manager

Résumé

  1. Globalement, les actifs des marchés émergents ont sous-performé les marchés développés
  2. L'évolution des taux aux États-Unis et l'impact sur le dollar seront des facteurs décisifs en 2024.
  3. Les économies axées sur les exportations sont mieux placées pour tirer parti de la croissance mondiale

Cette classe d’actifs a longtemps été considérée comme le Far West, ou peut-être à plus juste titre comme le Far East, par les investisseurs cherchant à diversifier leurs portefeuilles, surtout en raison du fait que les marchés développés ont été les premiers à être frappés par le Covid-19, puis à ressentir les effets inflationnistes de la guerre en Ukraine.

Si les actions des marchés émergents, tirées par l’influence grandissante de la Chine, peuvent parfois générer des retours copieux sur investissements, elles ont plutôt déçu au cours de la dernière décennie. Les devises ont également sous-performé, le billet vert ayant profité de l’exceptionnalisme américain, alors que la dette des marchés émergents est très vulnérable aux hausses de taux.

Les performances des actions émergentes sur la période de 10 ans courant jusqu’à fin juin 2024 ont été inférieures à celles de leurs homologues des marchés développés, affichant un écart moyen annualisé de 7 % par an. Après avoir surperformé dans les années 2000, les marchés émergents ont systématiquement sous-performé les marchés développés depuis les années 2010, comme l’illustre le graphique ci-dessous.

Source : Robeco, Bloomberg, Refinitiv Eikon. Données jusqu’en mai 2024.

Le raffermissement du dollar a également été un facteur de sous-performance (parfois jusqu’à 6 % par an) des devises émergentes, sur la base des performances relatives de l’indice JPM Emerging Market Currency par rapport au dollar.

L’obligataire a généré de meilleures performances, les taux de 6,6 % de l’indice GBI-EM Global Diversified Local Currency Index étant bien supérieurs aux 3,4 % proposés par les gouvernements des marchés développés à l’échelle mondiale. L’écart entre les deux s’est toutefois résorbé, car les banques centrales du monde entier sont passées en mode « hausse des taux » l’année dernière.

L’année du dragon

Les marchés émergents vont-ils enfin cracher le feu pendant l’année du dragon ? « Malgré l’amélioration des taux de croissance des économies en développement ces 10 dernières années, les actifs émergents n’ont pas généré une surperformance significative dans les segments actions, obligations et devises », déclare Aliki Rouffiac, gérante de portefeuille au sein de l’équipe Solutions multi-actifs durables de Robeco.

« Les catalyseurs qui permettront à l’année du dragon de marquer un tournant pour les actifs des marchés émergents pourraient apparaître au cours de la seconde moitié de 2024, offrant ainsi un contexte plus favorable à la performance future.

Historiquement, les différentiels de croissance ont entraîné une meilleure performance des actions émergentes, la récente inversion de vapeur en direction de niveaux plus positifs étant perçues comme un facteur favorable potentiel pour les actions des marchés émergents. »

Comment le dollar va-t-il évoluer ?

La force du billet vert et l’effet qu’auraient sur lui les éventuelles baisses des taux d’intérêt de la Fed y jouent pour beaucoup. En règle générale, une baisse de taux rend la monnaie nationale moins attractive aux yeux des investisseurs étrangers, ce qui affaiblit le dollar par rapport à ses homologues des marchés émergents. Cette tendance profite tout particulièrement aux nombreux pays en développement qui produisent des matières premières vendues en dollars dans le monde entier.

« D’un point de vue tactique, le comportement du dollar influencera également les actifs des marchés émergents, actions comme obligations », explique Aliki Rouffiac. « Alors que la Fed entame un cycle de baisse des taux, la perspective de baisses plus progressives et moins abruptes au cours des 12 prochains mois, dans un environnement économique mondial modéré, serait de bon augure pour la performance des actifs émergents.

Entre-temps, la trajectoire et la rapidité de progression de l’inflation vers des niveaux plus soutenables d’environ 2 % ouvriraient la voie à des politiques plus accommodantes. Ces événements interviennent dans un contexte où l’attention reste focalisée sur les élections (en particulier aux États-Unis), qui sont susceptibles d’être source de volatilité à court terme et d’opportunités dans les marchés émergents. »

La Chine face au reste du monde

La Chine continue de jouer un rôle moteur de la performance globale de cette classe d’actifs, puisqu’elle pèse 25 % dans l’indice MSCI EM, ce qui entraîne une divergence non négligeable avec le reste de l’indice lorsque la Chine en est exclue. L’écart de performance entre les valeurs chinoises et celles des marchés émergents hors Chine a atteint près de 50 % depuis la crise du Covid-19.

Cette divergence peut être en partie attribuée à des facteurs nationaux tels que les obstacles auxquels est confronté le marché chinois de l’immobilier. Elle est également due à des différences de structure de marché, l’indice des valeurs chinoises étant fortement sous-exposé au secteur des technologies, l’un des plus grands bénéficiaires de la fièvre de l’IA, affichant une exposition de seulement 5,9 % contre 31,5 % pour l’indice MSCI EM ex-China.

Cette divergence se manifeste également dans le fait que la corrélation entre l’indice MSCI EM ex-China et les marchés actions en Occident a augmenté de près de 70 % au cours des 12 derniers mois, mais a chuté à 56 % par rapport au marché actions chinois.

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Un terreau plus favorable

« Du point de vue du risque, la convergence de la volatilité des marchés émergents et des marchés développés l’année dernière a créé un terreau plus favorable aux actions émergentes », explique Aliki Rouffiac. « Cette dynamique de corrélation changeante au sein de l’univers des marchés émergents reflète les différents degrés de diversification de ces expositions dans les portefeuilles d’actions internationales.

Le regard tourné vers l’avenir, l’argument de la valorisation des valeurs émergentes par rapport à leurs homologues des marchés développés reste globalement convaincant. En effet, les marchés émergents hors Chine se négocient avec une décote à terme de 25 %, alors que la décote de 40 % des valeurs chinoises par rapport aux titres occidentaux flirte avec son plus bas historique en 20 ans.

On peut dire que les arguments en faveur de performances relatives attractives à moyen terme sont solides, tandis que le récent retournement du cycle manufacturier mondial (les chiffres mondiaux sur le PMI évoluent au-dessus de la barre de 50 depuis le début de l’année) pourrait offrir un contexte plus favorable aux bénéfices. C’est particulièrement le cas des économies axées vers les exportations qui possèdent un grand secteur manufacturier, qui sont plus à même de tirer parti d’une amélioration des perspectives de croissance mondiale. »

La Fed, l’acteur incontournable

Toutefois, l’évolution de la situation dépend encore pour beaucoup de l’issue des événements en Occident et du vieil adage « lorsque les États-Unis éternuent, le reste du monde s’enrhume ». Cette constatation vaut surtout pour la dette des marchés émergents, qui est plus sensible à l’évolution du contexte aux États-Unis qu’aux événements qui surviennent sur leur territoire national.

« L’équilibre des risques dans l’obligataire émergent dépend de la vitesse et de l’ampleur des changements de politique des banques centrales en faveur d’une position plus accommodante », précise Aliki Rouffiac. « Les États-Unis sont indéniablement aux commandes et donnent le ton en termes d’attractivité globale de la dette émergente en devise locale.

Malgré le rendement plus élevé de l’indice des obligations émergentes en devise locale, le changement de cap vers un environnement de taux plus bas aux États-Unis sera un facteur clé de la performance de cette classe d’actifs pendant le reste de l’année. Les investisseurs devront privilégier les pays où les opportunités de portage permettent de se prémunir contre l’incertitude à court terme, une tendance désinflationniste probablement plus lente et des primes potentiellement plus élevées en raison des élections américaines à venir.

Dans la même veine, les devises ayant affiché une volatilité relativement modérée depuis le début de l’année, celles meilleur marché et sous-détenues devraient mieux s’en tirer face au dollar à mesure que les différentiels de taux d’intérêt se normaliseront au gré et selon le calendrier des baisses de taux. »



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