Vision

Les allocataires d’actifs des pays nordiques parlent thèmes, tactiques et nouvelles réalités de l’investissement durable

Ces dernières années, les gestionnaires d’actifs ont dû faire preuve d’une grande résilience : conflits armés, tensions commerciales, envolée des dépenses liées à l’IA et à la défense, sans oublier un recul global des engagements en matière de durabilité.

Dans ce contexte, une table ronde interactive réunissant des CIO et des responsables clés de l’allocation d’actifs représentant 768 milliards d’euros d’actifs a débattu de l’importance de la durabilité et des thèmes dans la construction des portefeuilles.

Auteurs

    Global Head of Thematic Investing
    Portfolio Manager
    Head of Nordics Sales

Résumé

  1. L’investissement thématique reste essentiel pour les allocations stratégiques • La gestion active est privilégiée face aux ETF passifs •
  2. La gestion active est privilégiée face aux ETF passifs
  3. La durabilité conserve toute son importance, mais elle se trouve redéfinie par les réalités actuelles

Les thèmes sont-ils toujours pertinents d’un point de vue stratégique ?

Des leaderships contestés, combinés aux incertitudes sur la croissance américaine, ont conduit de nombreux investisseurs à déserter les actifs américains au profit d’alternatives à l’échelle mondiale. Ce revirement spectaculaire n’a toutefois pas entamé l’appétit des investisseurs nordiques pour les valeurs thématiques.

Jani Stenius, CIO de l’allocation d'actifs pour OP Financial Group,1 demeure optimiste quant aux thèmes et ce précisément en raison — et non malgré — leur exposition aux
États-Unis. Selon lui, les gérants d’actifs européens privilégient fortement leur marché domestique, mais les thèmes compensent ce biais en s’orientant vers des valeurs « growth » de qualité, dont une large part est concentrée aux États-Unis. Même si la faiblesse du dollar américain crée des vents contraires, il souligne que leur effet peut être atténué grâce à des outils tactiques. Il déconseille également aux gérants de procéder à d’importants ajustements à la baisse de leurs allocations thématiques ou en actions en général, en particulier si leurs portefeuilles s’écartent déjà de manière significative des indices de référence mondiaux.

L’exposition à des valeurs « growth » de qualité a contribué à renforcer l’attrait des grands thèmes à intégrer dans les allocations « core ». Toutefois, les investisseurs nordiques les considèrent encore comme trop étroits pour les investissements « core », mais bien adaptés aux investissements satellites. Anders Bertramsen, responsable de la sélection des gérants chez Nordea,2 souligne l’importance de disposer d’un éventail diversifié de thèmes dans toutes les discussions de conseil, afin de compléter les positions de base de l’univers du conseil.

Qui ne risque rien n’obtient rien

Une focalisation intrinsèquement étroite et une approche centrée sur la pureté thématique ont exclu certains thèmes de Robeco des récents rallys actions, entraînant une baisse de la performance relative et une évolution des tracking errors.

Si nos experts jugent l’attention des investisseurs quelque peu excessive, Jani Stenius souligne que celle-ci dépend de l’importance du thème dans le portefeuille global.

« Si des thèmes sont utilisés pour les allocations sectorielles ou régionales, naturellement plus étroites, la tolérance au risque est plus faible et la tracking error est jugée plus sévèrement par rapport au groupe de pairs ou à l’indice de référence sectoriel. Lorsqu’il s’agit d’une portion mondiale du portefeuille à horizon à long terme, la tolérance au risque est beaucoup plus élevée, la dispersion des performances pouvant être compensée par des investissements de base à faible volatilité. »

Cependant, un risque dépourvu de récompense est également à proscrire, déclare Gabriel Wetter, responsable de la recherche et de l’analyse du marché pour la société suédoise Länsförsäkringar. 3

« Les gérants thématiques sont censés réaliser des performances positives au fil du temps, même par rapport à un indice de référence plus large tel que le MSCI World, et contribuer à améliorer les portefeuilles. Sinon, quel intérêt pour un client de l’ajouter à son portefeuille ?

Anders Bertramsen de Nordea ajoute que le MSCI n’est pas vraiment une référence pertinente pour les thèmes étroits, tels que l’eau, raison pour laquelle Nordea évalue souvent les gérants par rapport à leur groupe de pairs Morningstar.

Tous s’accordent à dire que des thèmes bien construits et des gérants compétents parviennent toujours à générer de l’alpha4 , même en cas de tracking error ou de contraintes de durabilité.

Préférence pour la gestion active

Les ETF thématiques se multiplient, mais partagent tous une préférence pour la gestion active plutôt que passive.

« Nous privilégions les équipes bénéficiant d’une longue expérience et d’un large éventail de compétences thématiques, d’analystes de recherche et de ressources d’investissement », explique Gabriel Wetter, ajoutant que la solide conviction et la réflexion à long terme d’un gérant actif inspirent confiance et crédibilité. Les ETF sont peut-être plus rapides à construire et à lancer, mais ils n’ont généralement pas été testés. Selon Jani Stenius, « identifier les tendances constitue la partie la plus facile, surtout lorsqu’elles sont largement médiatisées et simples. Il est moins évident de construire un thème durable qui se traduise en alpha. Cela requiert des connaissances spécifiques au secteur, mais aussi une expérience macroéconomique plus générale ainsi que des compétences en matière de sélection bottom-up des titres. »

Les risques de concentration, de volatilité et de liquidité incitent également le groupe à se méfier des ETF. Jani Stenius a souligné le risque associé aux dépenses d’investissement importantes des grandes institutions : « Nous devons être sûrs de pouvoir agir rapidement sans perturbations. »

Gabriel Wetter a ajouté que les petites stratégies passives encore peu matures présentent non seulement des cycles de vie imprévisibles et une longévité incertaine, mais qu’elles peinent également à amortir l’impact de flux transactionnels importants.

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Les histoires simples se vendent bien

Tous s’accordent à reconnaître que le storytelling offre un avantage significatif aux thèmes. « Les thèmes peuvent varier en complexité, mais les meilleurs restent intuitifs », précise Anders Bertramsen.

Les thèmatiques ont toujours été au cœur de nos discussions et plateformes de solutions de conseil, notamment parce qu’ils restent faciles à comprendre pour la majorité des conseillers et de leurs clients finaux. Je pense que la plupart des gens peuvent associer un producteur de métaux industriels aux chars d’assaut et aux thèmes de la défense européenne. »

En fait, la facilité de compréhension joue un rôle important. Selon Jani Stenius, sur le marché finlandais, les stratégies faciles à comprendre attirent non seulement davantage de flux, mais bénéficient également d’une plus grande patience des investisseurs concernant les performances. Anders Bertramsen est du même avis :

« Lorsque l’histoire est simple, il est plus facile pour les investisseurs de comprendre comment elle s’intègre dans leur portefeuille, non seulement en termes de rendement, mais aussi par rapport à des objectifs tels que la diversification des risques, la durabilité et l’impact positif. »

Cela vaut pour les investisseurs institutionnels « top-down », les conseillers en gestion de fonds et les investisseurs particuliers. Anders Bertramsen a pris l’exemple de l’intelligence artificielle pour illustrer comment les allocateurs doivent évaluer les compromis liés à son intégration en tant que thème autonome, surtout lorsqu’un beta axé sur l’IA est déjà présent5 dans les valeurs technologiques du portefeuille.

« Les thèmes qui peuvent facilement expliquer et différencier leur exposition ou d’autres avantages pour les clients auront un avantage évident. »

Simple, mais pas trop

Ralf Oberbannscheidt, responsable de l’investissement thématique chez Robeco, souligne que si un storytelling accessible offre des avantages, il peut également se révéler contre-productif.

« Dans la pratique, les thèmes simples engendrent souvent une bipolarité, c’est-à-dire à des périodes de hausse extrême lorsqu’un thème est en vogue, suivies de baisses extrêmes lorsque l’engouement s’estompe. »

En revanche, Robeco a développé une série de stratégies thématiques diversifiées qui ont évolué afin de saisir la croissance à travers différents cycles de marché :

« Ce type d’évolution ajoute naturellement une certaine complexité au récit, mais il apporte également la profondeur, la diversité et la résilience nécessaires pour qu’un thème soit durable et génère des performances à long terme. Nous ne révisons pas nos processus pour courir après le dernier titre à la mode. Nous ne cherchons pas à proposer des produits à court terme, contrairement à la majorité des ETF passifs proposés par de nombreux gérants d’actifs. »

Il souligne que l’une des caractéristiques des thèmes de Robeco est qu’ils sont « axés sur les problèmes », c’est-à-dire qu’ils se concentrent sur l’identification d’innovations et de solutions répondant à des défis chroniques, à la fois interrégionaux et intersectoriels, tels que l’accès à l’eau potable, la réduction des déchets et les solutions circulaires.

Il note : « nous avons appris à faire preuve de patience et de constance malgré le bruit et les perturbations du marché. Mais cela ne veut pas dire que nous nous contentons de « paramétrer et d’oublier » une fois que nous avons identifié un bon thème. Nous les contrôlons en permanence en interne et nous engageons un dialogue avec nos clients pour nous assurer de leur pertinence. Ce peut être constructif pour les deux parties au fur et à mesure de l’avancement du processus d’investissement. »

Les problèmes ne s’arrêtent pas à la politique

Après des décennies de progrès, les thèmes axés sur la durabilité ont perdu un peu de leur élan, victimes de vagues croissantes de sentiments anti-ESG, de préoccupations géopolitiques pressantes et de plusieurs années de sous-performance.

Malgré cela, le panel a affirmé l’engagement de leur organisation en faveur de la durabilité des objectifs Net Zéro, tout en reconnaissant la baisse des flux et de l’intérêt des investisseurs. Gabriel Wetter note que la recherche sur la durabilité de Länsförsäkringar dispose de ressources encore plus importantes que son équipe de sélection des gérants et qu’elle offre à ses clients une large sélection de produits durables relevant des articles 8 et 9. Ce constat rejoint les résultats de l’étude annuelle de Robeco « Global Climate Investing Survey », qui indique que la plupart des investisseurs européens et asiatiques reportent leurs plans de transition sans pour autant les annuler.

Richard Speetjens, co-responsable de l’investissement thématique chez Robeco, a déclaré que l’investissement durable retrouvera l’attention des investisseurs traditionnels, car « des problèmes sérieux doivent in fine être résolus. Ils ne disparaissent pas simplement parce qu’on les néglige ou les ignore. » Selon lui, le réchauffement climatique et la raréfaction des ressources, le vieillissement des populations et les inégalités sociales continueront d’évoluer et de s’intensifier, ce qui les rendra aussi importants pour la croissance des entreprises que l’amélioration de la productivité et l’expansion des parts de marché.

Le pragmatisme plutôt que la pureté

Les panélistes ont convenu que l’investissement durable était essentiel pour faire face à ces enjeux, même s’il est lui-même en pleine évolution. Il s’agit de passer d’une quête puriste d’idéal à un pragmatisme libéral, capable de reconnaître les avantages tout en les conciliant avec les réalités du terrain.

Par exemple, la demande d’électricité augmente à mesure que nous passons des moteurs à combustion aux moteurs électriques. Cela a modifié la perception des investisseurs suédois vis-à-vis de l’énergie nucléaire, qu’ils voient désormais comme une solution temporaire « sans émissions », permettant de rester sur la trajectoire d’une énergie 100 % renouvelable.

De même, la guerre en Ukraine a mis en évidence les vulnérabilités de l’Europe et de la Scandinavie en raison de leur proximité avec des voisins hostiles. Cela explique en partie pourquoi les préoccupations du public en matière de sûreté et de sécurité ont récemment pris le pas sur les considérations de durabilité. Le panel a cité le Danemark et la Finlande comme exemples de pays où les dépenses publiques et les allocations des fonds de pension aux valeurs de défense ont connu un récent revirement.

L’hydrogène bleu et le gaz naturel sont également des secteurs autrefois controversés et exclus de nombreux fonds durables, mais qui sont aujourd’hui reconnus comme des solutions de « transition ». La description insiste sur leur rôle dans la génération d’effets positifs qui aident à surmonter les blocages et, au bout du compte, à faire progresser les entreprises et la société vers les objectifs du Net Zéro.

Pour les investisseurs nordiques, il est évident que, même si l’investissement durable s’adapte aux réalités, cela n’en réduit pas la puissance. En fait, il apparaît plus pertinent, plus résilient et plus tourné vers l’avenir que jamais auparavant.

Notes de bas de page

1OP Financial Group. Avec plus de 2,1 millions de clients et plus de 111 milliards d’euros d’actifs sous gestion au 31 décembre 2024, OP Financial Group est l’une des plus grandes sociétés financières de Finlande, offrant des services bancaires commerciaux et d’assurance.
2Le Groupe Nordea est le principal prestataire de services financiers en Europe du Nord et le partenaire privilégié de millions de clients dans la région. Depuis 200 ans, il accompagne avec fierté particuliers, familles et entreprises. Au 31 décembre 2024, Nordea Asset & Wealth Management (AWM) gérait un total de 422 milliards d’euros d’actifs.
3Länsförsäkringar est une institution financière suédoise qui offre une gamme complète de services aux particuliers et aux entreprises. Au 31 décembre 2024, les actifs gérés dans ses portefeuilles d’investissement en unités de compte et en assurance vie s’élevaient à 33,6 milliards d’euros.
4Le terme alpha désigne l’écart de performance d’un investissement par rapport à un indice de référence et constitue une mesure de la performance.
5Le beta fait référence ici aux performances des investissements découlant des mouvements généraux du marché. Il s’oppose à l’alpha qui découle de la sélection sélective de titres par les gérants actifs afin de surperformer le marché.


Avertissement - Utilisation frauduleuse de Robeco sur les sites web et les réseaux sociaux Lire la suite